Fiche de lecture les contradictions de la globalisation éditoriale
Dans un contexte d’accélération de la concentration éditoriale et d’intensification de la circulation transnationale des livres, seize auteurs s’interrogent sur les conséquences du processus de mondialisation sur le marché du livre.
Dans les premières pages de l’introduction à l’ouvrage collectif "Les Contradictions de la globalisationéditoriale", Gisèle Sapiro surprend en affichant sa volonté d’inscrire l’étude de la mondialisation éditoriale dans une logique résolument territoriale. A l’heure où le marché du livre semble de plus en plus dénationalisé, sous l’effet de l’accélération du processus de concentration éditoriale et de la constitution de grands groupes internationaux, Gisèle Sapiro conteste l’existence d’un espace decirculation libre des livres et affirme d’emblée que le commerce du livre est au contraire le lieu de rapports de forces entre aires linguistiques, territoires nationaux, mais aussi territoires imaginaires et symboliques. Partiellement issu d’un colloque tenu à l’EHESS et à l’Iresco en mars 2006, Les Contradictions de la globalisation éditoriale rassemble seize communications visant à appréhender leseffets de la mondialisation sur le marché du livre. La principale originalité de l’ouvrage réside dans la mise à jour de tensions et de contradictions propres au processus de mondialisation éditoriale. Réfutant l’approche culturaliste – selon laquelle le processus de globalisation éditoriale favorise le métissage des cultures et la diversité éditoriale – ainsi que l’approche économiste pour qui lemarché du livre est un marché comme un autre, les travaux des seize auteurs s’inscrivent résolument dans la lignée des travaux de Pierre Bourdieu et plus particulièrement de son article des Actes de la recherche en sciences sociales sur la circulation internationale des idées2. A la suite de Pierre Bourdieu, les travaux rassemblés dans cet ouvrage prennent en compte les logiques spécifiques dumarché du livre et envisagent la mondialisation éditoriale comme un processus fondamentalement contradictoire mettant en jeux des rapports de forces inégaux.
Processus paradoxal, la mondialisation éditoriale se caractérise par une opposition structurelle particulièrement frappante. Gisèle Sapiro, s’appuyant sur l’analyse de Pierre Bourdieu, insiste ainsi dans sa communication3 sur l’oppositionentre d’une part, un pôle de grande diffusion, obéissant à des critères de rentabilité immédiate et d’autre part, un pôle de diffusion restreinte régi par des critères intellectuels et symboliques. Cette analyse sociologique du marché de l’édition, voit ainsi s’opposer deux stratégies opposées : celle des grands groupes internationaux à la recherche de profits économiques à court terme, et celle despetits éditeurs indépendants à la recherche de profits symboliques qu’ils convertissent en capital économique sur le long terme. Cette grille de lecture, sert ainsi de cadre conceptuel à Sophie Noël dans son analyse des stratégies éditoriales de la petite édition indépendante d’essais « critiques » en France. Les éditeurs indépendants étudiés par Sophie Noël offrent une illustration parfaite dela théorie bourdieusienne du champ éditorial : alors qu’ils occupent un espace économique ridicule face aux grands groupes qui dominent le marché, leur importance symbolique est bien réelle. Paradoxalement, l’apparition d’une nouvelle génération de petits éditeurs « contestataires » dans les années 1980, est concomitante avec l’accélération du processus de concentration éditoriale. Loin de voir ladisparition des petits éditeurs indépendants, la mondialisation éditoriale se caractérise ainsi par un double mouvement contradictoire qui voit les gros devenir de plus en plus gros et les petits de plus en plus petits. Ce paradoxe, étudié par plusieurs auteurs de l’ouvrage, tient bien entendu à la nature duale du livre (à la fois bien commercialisable reproductible et contenu symbolique...
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