Jean Muno Héros Brabançon

Jean Muno : Histoire exécrable d’un héros brabançon – 1982
TEXTE :
Le narrateur évoque son enfance et la personnalité de ses parents, tous deux professeurs de français et fort soucieux d’élégance et de correction linguistique. Le fils se moque doucement de son père qu’il surnomme « Monsieur ». Ce dernier, membre fondateur d’un Cercle de poésie où l’on célèbre les auteurs classiques, estparticulièrement fier d’un buste de sa personne qui trône dans une pièce de la maison.
Rien que le fait de descendre mon avenue/laan le matin. A cause de la frontière qui très précisément la longe, en est l’épine dorsale, j’avais un pied en Flandre et l’autre en Wallonie. Idem pour le cerveau : un lobe de chaque côté. Idem pour les bras, les jambes, tout ce qui va par deux. Et mon cœur que jeporte à gauche ? En somme, me suis-je dit, il est tantôt wallon, sur le versant paternel de l’anarcho-syndicaliste, tantôt flamand, mijn hart , sur le versant de moeder Lisa quand je rentre chez moi à l’heure des nostalgies. Coupé en deux dès le matin ! Pas étonnant que mon village s’appelle Malaise , et que, dans ces conditions, je ne puisse éviter les contradictions et les ambiguïtés. Tantôt mesdeux moitiés se disputent, tantôt l’une prend le pas sur l’autre. Il arrive aussi qu’elles se fassent des concessions. Ah ! Le compromis ! C’est alors que je me sens le plus Belge et, paradoxalement, le plus inauthentique, le plus marginal ! A la fois dedans et dehors, avec et cependant autre. Chair et poisson, chèvre et poisson. Belge et Capricornu ! Né sous le signe solsticial du partage et dupassage, de l’adhésion et du refus, de la résignation et de la révolte. […]
Entre les deux, toujours, notre cœur balance. Choisir, nous le savons trop, c’est mourir un peu. Nous pratiquons l’art subtil de la demi-mesure. Forcément nous ne pouvons aboutir qu’à l’ambiguïté de la demi-réussite, du ni chèvre ni poisson. La bouteille est-elle à moitié vide ou à moitié pleine ? Question de mots. C’estpourquoi nous sommes avides de gestes et de mots rassurants : attestations, consécrations, distinctions honorifiques, hommages, tout ce qui peut suggérer le plein de la bouteille. Plus que nul autre, le [Belge] a besoin de l’évidence démonstrative des cérémonies. Toujours menacé, le compromis lotharingien a besoin du rire pour durer, apaiser les scrupules, endormir la lucidité. Paraître pour être,pour nier la duplicité malencontreuse de l’être. Afin de ne pas se perdre dans le grand mur gris de tous les jours, Monsieur avait eu besoin du buste, du Cercle, du revers décoré de son pardessus. Je le comprenais, je n’étais pas différent de lui. Kiètil-Kiètu ? Les deux questions n’en faisaient qu’une. Exorciser le dérisoire, ne pas céder à la tentation de la dérision : être Belch, c’était çaou n’être rien.

BIOGRAPHIE


Notice biographique : Robert Burniaux alias Jean Muno (1924 -1988). Il est issu de parents écrivains et enseignants. Le jeune Robert Burniaux grandi dans une sphère littéraire et connaît une enfance solitaire et studieuse. Il devient à son tour enseignant et commence à écrire sous le nom de Jean Muno. Son œuvre comprend un recueil de nouvelles (La Brèche, 1973)et des romans où le merveilleux quotidien se combine à l’humour, à l’ironie et à la tristesse (L’Hipparion, 1962). Cependant l’art de Muno peut devenir féroce, comme dans Le Joker (1962) ou « dérangeant » comme dans L’île des pas perdus (1967). Ses romans et contes utilisent l’humour et le fantastique pour exprimer les révoltes de l’homme moyen noyé dans la comédie sociale ordinaire(Ripple-Marks, 1976 ; Histoire exécrable d’un héros brabançon, 1982).

La vie de Jean Muno se confond avec son ouvre. Paradoxalement PARADOJICAMENTE sociable et solitaire, son travail romanesque et théâtral témoigne toujours d'une indispensable autonomie, d'un accent personnel et inimitable.

Jean Muno (pseudonyme de Robert Burniaux) naît à Molenbeek le 3 janvier 1924. Son père, Constant Burniaux, est...