Wifredo lam
Wifredo Lam et l'avant-garde européenne
1935-1945
INTRODUCTION
Né à Cuba en 1902, le jeune peintre Wifredo Lam part pour l'Europe, en 1923, comme le font de nombreux artistes et intellectuels sud-américains. Ce voyage initiatique sur le Vieux Continent lui permettra de découvrir les mouvements idéologiques et artistiques qui s'y développent, et denouer des relations avec certains des protagonistes de l'avant-garde. Il arrive à Madrid, à l'âge de vingt et un ans. Il y restera 14 ans.
Ce long séjour est l'occasion, pour Lam, de découvrir le Prado et les toiles des plus grands peintres, tout en suivant des cours de peinture auprès de celui qui fut également le maître de Salvador Dalí. Il s'agit de F. Álvarez de Sotomayor, conservateur dumusée du Prado. Il fréquente les jeunes peintres anticonformistes de l'Académie Libre, avec lesquels il partage un désintérêt croissant vis à vis de l'art classique et le sentiment de la nécessité, non moins croissante, de briser ces chaînes artistiques et d'oser s'exprimer selon une sensibilité propre. La connaissance de l'art occidental est une sorte de révélation pour le jeune Cubain.Révélation d'une inadéquation, perçue par ses contemporains, entre des critères artistiques figés depuis la Renaissance et les nouvelles inquiétudes du début de ce siècle, ainsi qu'un décalage entre l'esthétique occidentale et celle du Nouveau Monde.
L'étude suivante se propose d'étudier l'évolution artistique de Wifredo Lam, dans un cadre chronologique précis: il s'agit des années les plus formatricesde son séjour en Europe - de 1936 à 1941 - ainsi que de son retour à Cuba, jusqu'à la création de son oeuvre maîtresse, la Jungla, en 1943-44. Le premier volet de cette étude aura donc pour objet la période "européenne", durant laquelle Lam découvre les préoccupations et propositions esthétiques des cubistes; nous en analyserons l'influence, ainsi que la capacité d'assimilation du créateur. Dansle deuxième volet, nous nous pencherons sur le phénomène d'appropriation qui s'est opéré dans sa peinture, et sur la naissance d'une esthétique personnelle, dans la lignée du surréalisme, et surtout, d'une esthétique cubaine.
I º) LA DECOUVERTE DES PREOCCUPATIONS AVANT-GARDISTES
1º) La découverte de l'art primitif
Lors de visites des musées archéologiques, Wifredo Lamretrouve des formes d'art primitif, originaires d'Afrique, qui lui sont familières. L'impact de cette découverte se fera ressentir dans la totalité de son oeuvre. Ses contemporains occidentaux sont sensibles eux aussi à l'art primitif, bien que de manière moins intime, vraisemblablement. Tous y redécouvrent les archétypes de l'art et de la beauté humaine universelle. Ils y retrouvent égalementl'illustration du processus de création, qui consiste à s'approprier un objet et à le recréer, sans que la représentation soit nécessairement conforme à la réalité, sans autre règle que celle de la perception subjective.
Dans le cas de Lam, homme noir, né dans un pays dominé, la révélation esthétique se double d'une révélation d'ordre culturel et racial. Son impact est d'autant plus profond: nonseulement ces statues, ces masques sont ceux de ses ancêtres et symbolisent l'esclavage, le déracinement, l'acculturation mais ils tracent aussi le chemin à parcourir pour retrouver son identité.
Comme Picasso, il est sensible à "la force expressive du masque. Dans la représentation de la figure humaine, les visages transformés en masques acquièrent la dureté et la force dramatique desicônes"[1].
Les visages de femme de Douleur d'Espagne[2] le Nu féminin[3] peints entre 1938 et 1940, par exemple, présentent une stylisation et une rusticité que l'on retrouve sur les masques africains: le nez, proéminent et rectiligne, ainsi que les yeux et la bouche, formés par des fentes parallèles, semblent avoir été taillés dans le bois. La dureté du trait confère au visage un côté hiératique;...
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