La Musica Francesa
Universités Paris-Sorbonne (Paris IV)
Olivier.Julien@paris-sorbonne.fr
L’analyse des musiques populaires enregistrées
dans Le commentaire auditif de spécialité – Recherches et propositions, dir. Danièle Pistone, Université ParisSorbonne (Paris IV), Observatoire Musical Français, série « Conférences et séminaires » (n° 37), 2008, p. 141-166.
© Observatoire Musical Français,2008
« Musiques populaires modernes », « musiques amplifiées », « musiques
actuelles » : dans un pays où l’on a coutume de dire que ce qui se conçoit bien s’énonce
clairement, la multiplication des étiquettes visant à désigner ces musiques que nos
voisins d’outre-Manche qualifient de popular est pour le moins significative. Les
difficultés que nous éprouvons à appréhender ces musiquestransparaissent jusque dans
le travail des musicologues, des sociologues et des historiens francophones spécialisés
dans leur étude, la majorité d’entre eux ayant aujourd’hui l’habitude de préciser qu’ils
emploient l’expression musiques populaires « au sens anglo-saxon de popular music »1.
Curieuse coutume, en vérité, qui consiste à vider de son sens une expression française
pour y substituer celuide sa traduction littérale en anglais ; faut-il vraiment que nous
ressentions un tel décalage entre le signifiant « musiques populaires » et la réalité de ces
musiques pour que nous en soyons réduits à emprunter sa terminologie à une autre
langue ?
Les raisons de ce paradoxe sont en réalité nombreuses : elles tiennent en partie à
l’histoire, mais aussi à la langue, à la culture et, plusgénéralement, à l’évolution des
sociétés française et anglo-américaine depuis le commencement de la révolution
industrielle. Comme le fait remarquer Richard Middleton, c’est très exactement au
tournant des XIXe et XXe siècles que s’est opéré, dans le monde anglophone, un
glissement sémantique entre musiques populaires, au sens de musiques traditionnelles,
et musiques populaires au sens adornien de« musique industrielle »2 :
« Sous l’influence du romantisme, l’expression “chansons populaires” [popular
songs] était, au XIXe siècle, synonyme de “chansons paysannes”, “chansons
traditionnelles” ou encore “chansons nationales”. À partir de la fin du siècle, l’adjectif
“folklorique” [folk] s’est finalement imposé pour ces usages tandis que “populaire”
[popular] commençait à être appliqué auxproductions du music-hall puis aux chansons
1
Voir Olivier JULIEN, « “Musiques populaires” : de l’exception culturelle à l’anglicisme » – à paraître
dans Musurgia.
2
Paul BEAUD, « Et si l’on reparlait d’Adorno ? », dans Popular Music Perspectives, Ed. David Horn and
Philip Tagg, Göteborg & Exeter, IASPM, 1982, p. 89.
142 – Le commentaire auditif de spécialité. Recherches etpropositions
grand public publiées par les éditeurs de la Tin Pan Alley et de son équivalent
britannique. »3
Dans le même ouvrage, le célèbre musicologue revient quelques
dizaines de pages plus loin sur ce transfert de sens pour en analyser les mécanismes :
« [Les musiques folkloriques] sont généralement considérées comme ayant ouvert
la voie aux musiques populaires à mesure que les sociétéstraditionnelles se
modernisaient, à mesure que des enclaves de culture folklorique étaient absorbées dans
un réseau de relations culturelles structurées par le capitalisme, à mesure que les
populations rurales s’urbanisaient et à mesure que les pratiques commerciales organisées
se substituaient aux modes d’échange traditionnels. »4
Il n’est certainement pas fortuit que derrière cette conceptiondes musiques
populaires (« chansons grand public » voyant le jour dans une société urbanisée et
industrialisée) se profile l’un des sens les plus répandus de l’adjectif popular en anglais,
soit : qui rencontre l’adhésion du plus grand nombre. C’est en tout cas le sens qui
semble communément admis, depuis les années 1970-1980, par les chercheurs
anglophones travaillant sur ces musiques :...
Regístrate para leer el documento completo.