Nos ancêtres les gaulois toscano

Source : Critique amoureuse des Français, « Nos ancêtres les Gaulois », Alberto Toscano, Hachette-littérature, 2009, 281p.

Nos ancêtres les Gaulois

Les Français pensent – parfois avec sérieux, parfois avec désinvolture – être les petits-fils de Vercingétorix, le leader d’une partie des Gaulois, né en Auvergne et exécuté à Rome, sur ordre de Jules César, en l’an 46 avant J.-C. la date denaissance de Vercingétorix n’est pas certaine (entre 72 et 82 av. J.-C.), mais, sans doute, ce personnage était-il un surdoué parce qu’il a obtnu en juin 52 avant J.-C. à Gergovie, quand il n’avait qu’une vingtaine d’années, la plus belle victoire militaire gauloise contre les troupes de Jules César. Malheureusement pour lui, il perdit, six mois pus tard, à Alésia, la bataille décisive, la guerre etla liberté. Jules César a gardé pendant six ans son prisonnier dans un cachot avant de le faire défiler, enchaîné, dans les rues de Rome pour son triomphe personnel (deux ans avant son propre assassinat). Une fois terminé ce spot publicitaire mirobolant, il le fit étrangler. Mais voilà un paradoxe : l’homme qui a décidé la mort de Vercingétorix lui a donné aussi l’immortalité, en le transformanten symbole de la fierté de ceux qui allaient vivre, les siècles suivants, sur les mêmes territoires gaulois. C’est le De bello Gallico (Commentaires de la guerre des Gaules) de Jules César qui en fait entrer dans l’histoire ce « jeune homme, fils de Celtillos, Arverne, qui convoqua ses compatriotes et n’eut pas de peine à les enflammer[i] ».
Au XIXe et au XXe siècle, la France, à couteaux tirésavec l’Allemagne, eut envie de retrouver des racines antérieures à celles du royaume franc. Des historiens se sont repenchés sur les livres de Jules César pour construire le mythe de « Nos ancêtre les Gaulois », Napoléon III a ensuite fait placer une statue de Vercingétorix sur le lieu présumé de la bataille d’Alésia. Une voie parisienne est devenue la « rue d’Alésia » (rare exemple de consécrationd’une défaite dans la toponymie de la capitale). Dans les villes françaises, ont été érigés des monuments à la gloire de Vercingétorix, proposé aux passants comme un grand barbu, dont le coiffeur était souvent en grève. En 1899, Lionel Royer peignit un tableau intitulé Vercingétorix jette ses armes aux pieds de César. Le général de Gaulle avait une certaine idée des Gaulois. Le passant retrouvecette dernière dans le monument érigé en l’an 2000 à Paris, devant le Grand Palais, à la gloire du fondateur de la Ve République : « Il y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde », tels sont les mots du géénral gravés dans le marbre. « Vingt fois séculaire », comme le chemin de Gergovie à la Ve République.
Mais la première partie de ces vingt siècles,entre Alésia (52 av. J.-C.) et la bataille de Soissons (486 apr. J.-C.), est celle de la période gallo-romaine, qui a vu les ancêtres gaulois s’intégrer assez bien dans le système institutionnel, culturel et économique romain. La période de symbiose entre Gaulois et Romains a été bien plus longue que celle de la Résistance gauloise. Avec es invasions et les migrations des uns et des autres, il estévident que la population de la France actuelle a vraiment très peu à voir avec celle de la France de Vercingétorix (comme celle de l’Italie d’aujourd’hui n’est guère identique à celle de l’Italie de Jules César). Bref, parler d’ancêtres gaulois est un discours peu insensé. Mais cette référence n’est pas « généalogique », elle est politique.
Le succès de l’idée reçue « Nos ancêtres les Gaulois »est dû à l’autre paradoxe de Vercingétorix : si d’un côté les vagues migratoires ont rendu absurde toute identification aux Gaulois comme Français des origines, de l’autre côté, le France moderne a eu besoin de créer ses racines pour intégrer ses immigrés. On ne peut pas se limiter à donner des papiers aux nouveaux venus. Il faut leur donner une identité, une histoire et une fierté nationale. Et...